L’origine du boulier
Aujourd’hui on sait que la structure du boulier s’appuie sur une vérité scientifique qui est la perception immédiate des quantités 1, 2 et 3 par l’œil, puis par le cerveau. Le boulier a été inventé en Chine au XIIIème siècle, de façon empirique, en empruntant aux Babyloniens, à la civilisation de l’Indus, à l’abaque romain, aux chiffres romains et à leur propre mode de représentation avec les baguettes, dites chinoises. Cet instrument prolonge, en fait, nos mains et nos doigts. Les premiers hommes (hominines) ont l’image de leurs mains devant eux depuis, au moins, 7 millions d’année. Ces images mentales se sont enregistrées dans les cerveaux humains et sont devenues innées (vérifié avec des bébés de quelques semaines). Le boulier chinois possède deux quinaires, ce sont nos deux mains, droite et gauche, ainsi que 5 unaires, ce sont nos cinq doigts à chaque main. Mais le boulier va plus loin en permettant la représentation des nombres au-delà de dix, dans le système décimal positionnel inventé, aussi, en Chine ou dans la vallée de l’Indus.
Pourquoi l’utilisation du boulier a été abandonnée ?
A la Renaissance, le système décimal apporté en Europe par les Arabes s’est imposé, à la place du système romain. L’abaque à jetons a remplacé l’abaque romain. Montaigne avouait ne pas savoir calculer « à plume » avec les algorithmes de calcul que nous connaissons, ni « à getz » avec les jetons de l’abaque. La révolution française survient et interdit l’abaque à jetons qui avait le tort d’être utilisé par les clercs de l’Église pour enseigner dans les écoles. Les algoristes avaient gagné contre les abacistes. Avec les guerres de la révolution cette idée a fini par s’imposer au reste de l’Europe et du monde ; les algorithmes ont remplacé les manipulations pratiques aux instruments. La pédagogie et la didactique de l’enseignement des bases de la numération et du calcul ont perdu beaucoup avec ces abandons.
Nous devons réintroduire le boulier à l’école
Devant les difficultés des enfants en calcul et en maths, il est temps de réintroduire le boulier à l’école. Pour quelles raisons ?
C’est un instrument qui se manipule
Le boulier se manipule; on parle du sens haptique, soit « le toucher plus le déplacement ». Ce sens haptique, indispensable aux aveugles, participe à la construction des connexions dans le cerveau (les synapses). A l’Université de Grenoble, Edouard Gentaz étudie ce sens aussi important que les autres.
La perception immédiate des nombres inscrits au boulier
Le boulier utilise la capacité de percevoir immédiatement les quantités, un, deux et trois et seulement ces quantités. Cette caractéristique innée se nomme la subitisation ; c’est la raison pour laquelle le boulier est incontournable pour un apprentissage rapide de la numération. Aujourd’hui, à l’école, nous apprenons à construire la numération à partir des dix chiffres qui sont des symboles et ne disent rien des nombres représentés. Comme les 26 lettres de l’alphabet qui permettent la construction abstraite de l’écriture, les 10 chiffres ne permettent pas une construction concrète de la numération. Au contraire, le boulier s’appuie sur la reconnaissance innée des nombres 1, 2 et 3 avec les images mentales correspondantes des nombres et de leur complément à 5 et à 10. Il n’y a pas besoin de démontrer cette base là, spontanée, naturelle, qui permet, donc, une construction concrète des nombres au-delà. L’échelle logico-arithmétique repose, donc, sur un socle solide reconnu par tous les auteurs depuis Euclide.
Les retenues au boulier
Le boulier chinois, grâce aux échanges, explicite le passage à 5 et surtout le passage à 10 et, donc, toutes les retenues dans les quatre opérations. La soustraction avec casse, la multiplication à la Grecque, la division, n’ont plus de secret. Les tables d’addition et de multiplication s’apprennent en quelques heures grâce à la mémoire procédurale activée par le boulier. Les techniques de calcul mental initiées par les procédures au boulier sont apprises définitivement.
Après plus de deux siècles de relégation, le boulier doit renaître comme instrument privilégié pour nos petits mathématiciens en herbe.
Michel Vigier